Le problème de la liquidité fragmentée
C’est un souci souvent évoqué pour critiquer l’écosystème EVM et le Web 3 plus généralement. Mais concrètement, savez-vous ce que c’est, ce que ça implique et les travaux pour y remédier ?
Plus le temps passe, plus on voit apparaître de nouveaux écosystèmes et, avec les perspectives d’airdrop des tokens de nouvelles blockchains, une partie de la liquidité est devenue “mercenaire”. Les chasseurs d’airdrop vont et viennent de blockchain en blockchain et vont déposer sur de nombreux protocoles qui viennent de sortir. C’est évidemment leur droit, mais ça rend la liquidité plus instable.
Qu’est-ce que la liquidité ?
C’est la supply disponible d’un actif, un mot un peu fourre-tout qui est utilisé dans plusieurs contextes et dont le sens n’est pas toujours équivalent. Il est souvent associé à la TVL, mais pas seulement.
La liquidité sur les exchanges centralisés est le nombre de tokens disponibles à l’achat. Plus la liquidité est haute, moins le price impact est important lors d’un achat. La valeur découlant d’un mécanisme d’offre et de demande, plus la liquidité est basse, plus la volatilité est forte.
La liquidité sur les exchanges décentralisés suit un peu le même principe que pour un CEX, mais de manière plus visible. Sur un DEX, les swaps passent par des “pools de liquidité”. En gros, des gens comme vous et moi déposions des tokens dans une pool sous forme de paire (par exemple : ETH / USDC) qui s’équilibre automatiquement pour conserver une valeur $ à 50/50. Si la liquidité dans la pool est trop basse au moment où vous voulez l’utiliser, vous prenez le risque de ne pas avoir le montant souhaité en échange de votre paiement.
Exemple : Vous utilisez un petit DEX avec peu de liquidité et vous voulez swap de l’USDC contre du DAI, le pool de liquidité est composé de 3000 USDC et 3000 DAI. Si vous voulez échanger 5000 USDC, vous ne recevrez que 3000 DAI, car la pool ne dispose pas de la liquidité suffisante pour effectuer correctement le swap.
La liquidité sur les protocoles de lending/borrowing, c’est la liquidité disponible à l’emprunt. Par exemple, sur AAVE, vous pouvez déposer des assets qui serviront de collatéral et qui pourront, dans la plupart des cas, être empruntés par d’autres pour vous apporter du rendement. Toutefois, si vous êtes vraiment riche ou bien que vous utilisez AAVE sur un layer très peu utilisé, il est possible que la liquidité ne soit pas suffisante pour que vous puissiez emprunter la quantité que vous souhaitez.
La fragmentation ajoute de la friction
Dans le monde centralisé, la fragmentation se limite simplement aux différents exchanges qui se battent pour cannibaliser celle des autres ou bien s’arrangent pour équilibrer la supply de leurs actifs.
En revanche, pour ce qui est on-chain, le problème est bien plus présent, et ce à plusieurs niveaux.
Voici les différentes couches de fragmentation que l’on retrouve actuellement :
- La fragmentation entre les différents écosystèmes. C’est la difficulté de lier deux actifs identiques qui ne sont pas sur la même blockchain. Par exemple, de l’USDC sur Ethereum et sur Solana sont déjà séparés au niveau utilisation, car les protocoles où les utiliser ne sont pas les mêmes. Et au-delà de ça, ils ne sont même pas au même format (ERC20 pour Ethereum et SPL pour Solana), car les blockchains ne sont pas régies par le même langage informatique (Solidity pour Ethereum et Rust, C ou C++ pour Solana).
- La fragmentation entre les Layer EVM. L’écosystème Ethereum est le plus fourni au niveau des protocoles, mais également au niveau des layers 2, ce qui divise même au sein d’un même écosystème la liquidité. Même au sein de l’écosystème EVM, des tokens sur Arbitrum ne seront pas accessibles sur Optimism, par exemple.
- La fragmentation protocolaire pour conséquence. Que ce soit pour les DEX ou pour les protocoles de lending, la fragmentation de la liquidité est un problème. Si vous utilisez un DEX multichain, au lieu d’avoir une seule pool USDC/ETH, il y en aura une sur chaque blockchain supportée par le DEX en question, ce qui rend les swaps de gros montants plus impactants, voire impossibles, si la liquidité dans la pool est insuffisante.
Pour les protocoles comme AAVE, c’est le même problème avec les pools de lending. Au-delà du souci de liquidité dans les pools, vous ne pourrez pas emprunter sur AAVE sur une blockchain où vous n’avez pas de collatéral, ce qui peut s’avérer frustrant. Si vous avez 100 000 $ d’ETH en dépôt sur AAVE Ethereum et aucun emprunt, vous ne pourrez pas emprunter ne serait-ce que 10 USDC sur Arbitrum.
Conclusion
Aujourd’hui, la fragmentation de la liquidité est une véritable contrainte technique qui nuit à la qualité de l’expérience utilisateur. C’est un gros sujet pour de nombreux projets comme Ethereum et AAVE. Petit à petit, des solutions vont être trouvées, cela devrait bientôt arriver pour AAVE (avec l’objectif d’une liquidité unifiée) et pour l’écosystème EVM d’Ethereum. Mais avec la création constante de nouvelles blockchains, c’est une contrainte qui va mettre très longtemps à disparaître.
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Pierre Vauquelin
Rédacteur